Monica Tonea est née à Constanța, une des plus anciennes villes attestées sur le territoire de la Roumanie. La Mer l’a attrapée dans ses filets et a été le berceau de son enfance. Elle a eu des velléités d’écrivain dès son enfance. Très jeune, elle commence à écrire des poésies et, plus tard, ce sont ses journaux qui deviennent sa priorité. Elle sentait que l’écriture était la forme qui l’aidait à mieux s’exprimer, qui lui donnait des ailes. Le calame, « cette langue de l’âme », elle ne l’abandonnera plus dans les années à venir ! Elle a été journaliste d’investigation, rédactrice de la chaîne Antena 1 TV, chorégraphe et animatrice du bal de l’Université Ovidius organisé sur la scène du Casino de Constanța, grand événement avec des invités comme Laura Stoica et Andrieș.
Nous avons rencontré Monica ces jours-ci pour une interview. Souriante et ravie de nous revoir, elle a répondu à nos questions. En voici le résultat !
1. Être écrivain, pour toi, c’est plus un métier ou une passion ?
Cela devrait être une question facile à répondre, n’est-ce pas ? Pourtant, je constate que ce n’est pas si simple de choisir entre ces deux options. Ma façon optimale de m’exprimer a toujours été l’écriture. Par conséquent, j’ai poursuivi cette voie afin d’approfondir cette manière de communiquer et… me voici aujourd’hui. Métier ou passion ? Plutôt un besoin. Je ne peux pas trop m’éloigner de l’écriture, peu importe la forme sous laquelle elle se présente, en lien direct ou indirect.
Je suis rédactrice de deux magazines roumains, diplômée en Journalisme, j’ai travaillé dans la presse, publié un volume de nouvelles en 2019 et un nouveau roman paraîtra bientôt. L’écriture est ma manière d’être, me donne un sens de vivre, mais pas comme on pourrait le croire, c’est plus une nourriture spirituelle.
2. As-tu un « rituel d’écriture » ? Combien de temps y consacres-tu ?
Je n’ai pas un rituel d’écriture per se. Idéalement, j’ai besoin de ne pas être dérangée lorsque j’écris, bien que j’aie appris à accepter les petites interruptions auxquelles je ne peux pas échapper, surtout depuis que nous sommes tous confinés à cause de la crise sanitaire. Heureusement, je suis capable de replonger dans l’état créatif sans difficulté. Certes, auparavant j’avais plus de temps pour moi-même et, une fois le programme libéré, le matin, à côté d’une grosse tasse de café, assise sur le canapé, le Mac sur mes genoux, j’écrivais sans avoir conscience du déroulement du temps. Au fil des heures, je réalisais que j’avais faim ou soif et qu’il était déjà l’après-midi. Évidemment, il faut avoir de l’inspiration. Il se dit qu’on devrait avoir une habitude d’écriture régulière, c’est bien vrai, pourtant il m’arrive parfois de ne pas pouvoir écrire un mot. À ce moment-là, je préfère m’occuper d’autre chose.
3. Tous ces bouts de vie que tu mets sur papier et que tu rends éternels, bouleversent-ils l’auteure Monica Tonea ? Qu’est-ce que t’apporte l’écriture de plus que tout autre passion et quel a été le plus grand défi de ta vie de femme de lettres ?
Étrangement, oui, ils me bouleversent. Je me demandais si c’était naturel ou si j’étais trop impliquée dans l’histoire de vie de mes personnages. J’avais l’impression que j’étais la seule écrivaine bouleversée par ses personnages. C’est en écoutant des podcasts dédiés à l’écriture, auxquels sont invités des écrivains qui partagent leurs expériences, que j’ai appris le contraire : nombreux écrivains s’impliquent dans l’histoire. On a une relation avec nos personnages : on les aime, on les déteste, on les réprimande. Il arrive souvent de ne pas pouvoir contrôler leur destin. Ils décident pour eux-mêmes. Voilà pourquoi je suis complètement bousillée après l’acte créatif, car ce n’est pas seulement de la fatigue mentale, mais aussi émotionnelle.
Oh, très bonne question, mais aussi difficile : qu’est-ce que l’écriture m’apporte de plus ? Je reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure, l’écriture remplit un besoin presque physiologique. Tout comme je mange, je bois et je dors, de la même manière, j’écris. C’est curieux, mais ce n’est pas la seule passion. L’art photographique suit de près l’écriture. Je suis guidée par les mêmes besoins, presque primaires, de m’exprimer à travers ses moyens. Certes, je ne suis pas allée au bout avec la photographie. Je suis une dilettante. Toutefois, la passion de manifester la réalité à travers des images me recharge, tout comme l’écriture.
Mon plus gros défi a été d’écrire pendant que la vie de ma mère s’éteignait petit à petit. C’était une période douloureuse qui m’a annihilé l’esprit. Toutefois, j’écrivais avec plus de conviction du jour au lendemain, puisque ma mère me répétait souvent : j’aimerais lire ton livre. J’étais pressée, car je savais que ses jours étaient comptés. Ce fut une course contre la montre que j’ai perdue, ma mère n’a pas pu lire mon livre. Je lui ai dédié post-mortem la dernière réflexion du volume Piatră de hotar (Point tournant), paru à la maison d’édition Libris (à présent Creator).
4. Quel est ton livre préféré et pourquoi ? As-tu un mentor ? Si non, quels auteurs t’ont le plus influencée ?
J’apprécie tant de livres qu’il est difficile d’en choisir. Il y a certains auteurs classiques comme Dickens, Kipling, Brönte (toutes les deux), Carroll, Tolstoï, Fitzgerald, Wodehouse, Pessoa que j’aime bien. Y expliquer pourquoi j’aime chaque livre me prendra une journée entière. Je vais tenter de résumer, voyons si je réussis : leur point commun est la tournure de phrase amenée au rang d’art ainsi que leur potentiel de m’attirer complètement dans l’histoire. Lorsque je lis, j’exige deux choses essentielles : qu’il existe un récit captivant, peu importe le mode d’exposition, et que la technique littéraire me séduise, qu’elle soit d’une qualité irréprochable. Je ne leur ai pas trouvé de défauts jusqu’à aujourd’hui. Mais n’oublions pas les contemporains, parmi lesquels : Shalev, Zafon, Ishiguro, Kundera, Murakami, Oz. Je voudrais ajouter une chose importante, comme une entité séparée : la littérature roumaine contemporaine. Chaque jour, je découvre des auteurs vachement bons. Autant de poètes que de romanciers qui méritent leur place parmi les écrivains de renommée mondiale.
Je n’ai pas de mentor. Ou plutôt les susmentionnés qui m’ont toujours inspirée, selon le sens habituel dont on parle et qui constituent la base de mes connaissances stylistiques, linguistiques et littéraires. Par ailleurs, je m’informe énormément. J’écoute des podcasts littéraires, je lis beaucoup de livres de creative writing, et je suis attentive aux tendances littéraires à la fois locales et mondiales.
5. D’où puises-tu ton inspiration ? As-tu un genre favori, des goûts particuliers en lecture ou même une chanson qui t’anime ? Écoutes-tu de la musique en écrivant ?
Je m’inspire de la vie de tous les jours. Je fais attention aux détails et je les ancre dans ma tête, ensuite, lorsque j’écris, je m’écarte de la réalité, puisque ce n’est pas forcément une reconstitution séquentielle des événements. Je n’écris pas mes mémoires et je ne raconte pas la vie d’autrui, mais j’essaie de créer des moments qui auraient pu être, mais qui ne sont pas arrivés. C’est logique ? J’espère que oui. En d’autres mots, mon écriture peut y avoir une once de vérité. Maintenant que j’y pense, c’est dans ma nature d’être contemplative. J’ai accumulé depuis toute petite des sensations, des souvenirs, des situations corrompues au fil du temps.
Je n’ai pas un genre littéraire favori, tant que le texte me parle. S’il y a un message là-dedans, que je m’identifie à un personnage ou à son histoire et si le sujet me fait douter des choses, l’écrivain a fait son travail. De même pour la musique, pas de style favori, j’aime le jazz, le rock, le pop, la musique classique.
Oui, j’écoute de la musique de temps en temps. J’ai une playlist que j’écoute des fois en boucle pendant mon travail. Cependant, à certains moments, je suis tellement concentrée sur l’acte créatif que j’entends aucun bruit et la musique de fond est inutile.
6. Quel serait ton mot d’encouragement pour nos lecteurs rêvant de devenir écrivains ?
Je crains que ce je ne sois pas la personne idéale pour conseiller les jeunes écrivains. En règle générale, j’évite de me mettre dans cette posture délicate, puisqu’un conseil en tant que tels a un quelconque poids, une certaine gravité et ne concorde pas toujours avec les attentes des autres. Par ailleurs, je ne peux parler que de ma propre expérience. L’écriture et la lecture sont entrelacées. Dès lors, pour bien écrire il faut lire à profusion et pratiquer sans arrêt. Pour être efficace, il faut s’entraîner. Surtout quand on parle d’un écrivain inné.
7. Parle-nous de tes autres projets et, plus particulièrement, de ton dernier livre, «Les acolytes» ?
Je vais commencer avec la fin. J’aime bien ton adaptation du titre. Oui, Ilona et Mattias pourraient être les acolytes de Sergiu. Mon roman, Pasagerii (Les acolytes) est en cours de publication chez la maison d’édition Casa de pariuri literare — une maison d’édition que j’apprécie fortement, avec une équipe extraordinaire — et il va se situer parmi des noms connus de la littérature roumaine. Cela me semble incroyable, c’est comme un rêve devenu réalité. La sortie du livre m’apporte un tas d’émotions. C’est un début littéraire, vu que c’est mon premier roman. Avec la prose courte, j’ai acquis une certaine légèreté, néanmoins, la structure d’un roman s’avère plus complexe, il faut faire plus attention à l’unité sur les plans spatio-temporels liés à l’action, aux personnages et à leurs rapports. C’était une tâche monumentale, lancée il y a trois ans. Pendant le confinement du 2020, j’ai eu l’occasion de peaufiner le texte. La partie technique s’est avérée plus difficile que l’écriture en soi. J’ai aussi eu d’excellents retours qui m’ont énormément aidée à visualiser de manière équidistante l’ensemble du roman.
Lorsque l’éditeur m’a contacté et m’a informé dans un e-mail, je cite de mémoire : le rédacteur a dit de garder le manuscrit, il est bon, j’ai cru que ce n’était pas vrai. J’avais peur que le message disparaisse. Et pourtant, c’était vrai. À partir de ce moment-là, l’histoire de la publication et le travail éditorial (une rédaction minutieuse de leur part, le choix de la couverture, la pagination, etc.) ont commencé.
Je ne vais pas dire grand-chose sur l’histoire même des personnages, pour les curieux, un fragment est paru en avant-première dans la revue Familia. Cependant, d’autres détails seront dévoilés en leur temps.
À part ça, je suis rédactrice des deux magazines : Itaca et Timpul Bruxelles, revues culturelles très appréciées dans la diaspora. En même temps, je travaille à une collection de proses courtes, mais ce n’est pas un projet pour le futur proche, c’est plutôt une façon de garder ma forme.